Projet Geothest 2019-2023

La sismicité induite est un facteur fortement limitant des projets géothermiques moyenne enthalpie, réalisés à proximité des centres urbains, où l’exploration géophysique est difficile. Dans ce projet nous proposons l’utilisation couplée de méthodes de corrélation de bruit sismique et MT pour déterminer la présence de fluides en profondeur, réaliser le suivi temporel de leur pression, connaître la relation pression-sismicité ainsi que les paramètres hydrodynamiques du réservoir.
Nous utilisons pour cela (1) 5 stations du Réseau Accélérométrique Permanent à Annecy, où un aquifère profond (2km) met en charge hydraulique une faille active, et où le calcul des variations de vitesses sismiques révèle des variations saisonnières, une forte corrélation aux précipitations et à la sismicité, et (2) des mesures MT qui permettent de réaliser des modèles 1D – 3D de résistivité dont l’inversion couplée avec celle des variations de vitesse peut permettre d’imager la teneur en eau.

1. Contexte scientifique et positionnement
La lutte contre la pollution atmosphérique induite par les centrales de chauffage urbain utilisant les ressources fossiles ou carbonées rendent nécessaire la recherche pour une meilleure utilisation des ressources géothermiques moyenne enthalpie (température comprise entre 50 et 100°, profondeur entre 1,5 et 3 km). En France, l’utilisation de la chaleur géothermique profonde pour le chauffage collectif est essentiellement restée limitée à des régions tectoniquement stables et aux aquifères naturellement perméables très favorables à ce type d’exploitation (Ile de France et Aquitaine). Dans d’autres régions, la mise en pression de l’eau pour stimuler la fracturation hydraulique des roches et améliorer la perméabilité peut induire une sismicité bien ressentie et mal acceptée (Bâle (2006), St-Gall (2013), Vendenheim (2019)), ce qui peut conduire à l’échec des projets. La compréhension de la sismicité induite et de son déclenchement est donc une question importante. Par ailleurs, les ressources géothermiques pour le chauffage urbain sont nécessairement recherchées au voisinage des villes, un environnement qui ne facilite pas l’exploration géophysique ; ceci est un défi (1) pour les méthodes électromagnétiques passives, par exemple magnéto-tellurique (MT), qui peuvent être performantes pour retrouver les fluides profonds mais nécessitent un traitement de données avancé en présence de bruit anthropique corrélé, et (2) pour la mise en évidence de petits séismes locaux. Il est donc difficile de connaître le sous-sol péri-urbain et notamment les aquifères profonds (1,5-3 km) et leur potentiel en termes de ressource et de risque de sismicité induite.
Dans ce contexte, les méthodes basées sur la corrélation de bruit sismique ont un potentiel à explorer, et les méthodes MT peuvent être adaptées ; le couplage des deux méthodes peut être très productif.

Figure 1 : Coupe ESE-WNW perpendiculaire à l’axe du pli chevauchant d’Aix-les-Bains, représentant la circulation des eaux thermales entre le sommet des calcaires tithoniens (La Charve) et le chevauchement, ainsi que l’emplacement du forage Chevalley (Carfantan et al., 2003).

2 Objectif du projet
Ce projet a pour objectif de contribuer à combler cette lacune par le développement de méthodes géophysiques pour l’estimation des ressources et des paramètres hydrodynamiques, ainsi que pour l’étude du couplage hydromécaniques et du risque de sismicité induite. Nous avons d’abord choisi un site expérimental exceptionnel : le site d’Epagny-Annecy. Il représente bien la problématique générale commune aux régions d’avant-pays, où les contraintes tectoniques résiduelles sont encore présentes. Annecy est situé comme Aix-les-Bains dans le bassin molassique péri-alpin, la molasse surmontant des formations calcaires et marneuses du Crétacé et Jurassique, plissées (style tectonique jurassien, plis chevauchants). Les formations calcaires régionales sont connues pour être karstiques et aquifères (Figure1). Dans la région d’Aix-les-Bains le forage Chevalley a retrouvé l’eau thermale (72 °C, 2 km de profondeur) dans les calcaires tithoniens, sous pression, en provenance du sommet des plis chevauchants. A Annecy, le contexte géologique est similaire et la question de l’exploitation d’éventuelles ressources géothermales est posée, mais la région est traversée par une faille alpine majeure, la faille du Vuache, au voisinage de laquelle a eu lieu le séisme d’Epagny (M5.3) en 1996 (Thouvenot et al., 1998).

L’observation géologique et la sismique réflexion montrent que les calcaires urgoniens et tithoniens locaux potentiellement aquifères et sous pression sont également traversés par cette faille, qu’ils peuvent éventuellement mettre en charge hydraulique. L’étude des répliques du séisme M5.3 d’Epagny (1996) montre une migration des hypocentres vers le Nord-Ouest et le Sud-Est (Figure 2) après le séisme principal. Cette migration peut être interprétée comme résultant de la diffusion d’une perturbation de pression fluide interstitielle ; cette diffusion ne peut qu’avoir lieu dans les formations calcaires karstiques et fracturées. Ce site peut être compris comme un analogue naturel d’expérience de fracturation hydraulique, semblable à celles de Bâle, St-Gall, Vendenheim.

Figure 2 : Distribution spatio-temporelle des répliques du séisme d’Epagny, 17-31 Juillet 1996. L’échelle de couleur représente la date en jours après le séisme nombre d’évènements par intervalle entre crochets). L’étoile noire est située à l’épicentre du séisme principal (15/07 1996). La ligne mauve représente la trace cartographique de la faille du Vuache.

3. Travaux en cours.
3.1 Analyse des enregistrements sismiques
Collaboration : C. CAUDRON, A. WICKHAM-PIOTROVSKY, Bhutwala RAJ, Sophie GIFFARD-ROISIN, Josipa MAJSTOROVIC, Léonard SEYDOUX, Philippe LESAGE.
A la suite du séisme d’Epagny (1996), 5 stations du RAP (Réseau Accélérométrique Permanent), avec enregistrement en continu depuis fin 2012, ont été installées sur une surface d’environ 15 km 2 . Nous avons détecté la petite sismicité locale enregistrée par le réseau, et calculé en continu les variations relatives de vitesse par corrélation de bruit sismique. Ce dernier calcul, réalisé station par station par intercorrélation de composantes entre 7 et 0,5 Hz à l’aide du code MSNoise, montre clairement une variation saisonnière des vitesses (Figure 3), pendant 7 ans. Les vitesses sont plus faibles entre Janvier et Juillet, plus fortes entre Juillet et décembre. La sismicité a lieu presque exclusivement entre Janvier et Juillet lorsque les vitesses sont faibles. Les variations saisonnières de vitesse basse fréquence sont directement corrélées à la température et évoquent un contrôle de l’infiltration des précipitations par l’évapotranspiration. Les variations de vitesse haute fréquence sont directement corrélées aux précipitations (Figure 3b), avec un décalage temporel d’une dizaine de jours. L’utilisation des temps de premières arrivées P et S, tP et tS, et de la différence tS-tP des séismes qui ont lieu sous les stations (rais verticaux) indiquent une profondeur hypocentrale d’environ 2 km. L’ensemble est cohérent avec un modèle d’aquifère pressurisé, dans lequel les fractures s’ouvrent lorsqu’il est sous pression, faisant baisser le module d’Young et les vitesses, et favorisant les ruptures et les microséismes. Les variations de vitesse pré- et post-sismiques du séisme M2.7 de Meythet (2013) montrent une dépressurisation du système, qui s’atténue avec le temps, probablement par diffusion de fluide.

Figure 3 Les variations de vitesse saisonnières (ab) et leur dépendance de la profondeur (c). a) Variation relative de vitesse sismique mesurée à la station OGEP, en %, dans la bande de fréquence 1-2 Hz, en fonction du temps en jours, sur une année. En rouge est représentée la moyenne, par jour, entre le 01/01/2013 et le 31/12/2019 ; les autres couleurs représentent les 7 courbes annuelles entre ces dates ; b) En bleu : dérivée temporelle de la variation relative de vitesse mesurée à la station OGEP, en fonction du temps, pour l’année 2019 ; en rouge : hauteur de pluie normalisée mesurée à Meythet, en fonction du temps. c) les amplitudes (crête-à-crête) des variations temporelles de vitesses saisonnières en fonction de fréquence.

3.2 Acquisition et analyse des signaux magnéto-telluriques.
Collaboration : V. RATH, A. JUNGE, A. THIEDE (Uni Francfort, Allemagne), S. BYRDINA, L. METRAL
La magnétotellurique est un outil classique d’exploration des cibles géothermiques potentielles [e.x., Munoz 2014 ; Thiel 2019]. Nous avons réalisé un ensemble de mesures sur une quinzaine de sites dans la région, péri-urbaine, d’Annecy-Epagny (Figure 4).

Figure 4 : inversion 1D Markov chain Monte Carlo pour le site MT ANN9 (Brodie & Jiang, 2018). a) Réseau des sites magnéto-telluriques représenté par ellipses dont les couleurs correspondent aux valeurs du tenseur de résistivité apparente à fréquence de 3 Hz. b) Résistivité apparente, module (en haut), et phase en degrés (en bas), en fonction de la fréquence. c) log géologique du site. d) l’ensemble des modèles 1D de résistivité, en Ohm.m, en fonction de la profondeur ; à droite. Le niveau <20> 100 Hz) et une lointaine, situé à Wittstock en Alemagne, 1500 km de la zone d’interet (station permanente maintenu par GFZ Potsdam) pour basses frequences <90 Hz (Ritter et al, 2015). Grace à ces deux stations il est possible d’obtenir les fonctions de transfer et les tippers jusqu’au 2 Hz. Les modèles de résistivité 1D ont été calculés pour chaque site et montrent des résistivités inférieures à 30 Ohm.m à 2km de profondeur (Figures 4-5). Dans un premier temps un modèle 3D du tenseur des phases a été obtenu à l’aide du code ModEM, l’inversion 3D de l’impédance reste préliminaire sans corrections statiques. Le modèle 3D (Figure 5) montre la trace et l’offset vertical de 600m de la faille du Vuache mais manque la résolution latérale ainsi que la profondeur d’investigation.

Figure 5. a) Réseau des sites magnéto-telluriques représenté par ellipses dont les couleurs correspondent aux valeurs du tenseur de résistivité apparente à fréquence de 144 Hz. Coupes du modèle 3D : AA’ à travers de la faille du Vuache (b) ; coupe BB’ (c) .

4 Perspectives
Le premier objectif (1) de ce travail est de connaître la variation de pression nécessaire pour déclencher la sismicité locale. L’étude préliminaire des variations de vitesse sismique par corrélation de bruit n’a été faite qu’en station unique, pour 2 stations (OGEP – Epagny et OGME – Meythet) en inter-composantes ; nous devons continuer pour les 3 autres stations et faire le calcul par couple. L’objectif suivant sera de suivre les variations temporelles de pression en plusieurs points du site. Pour cela il faudra trouver et vérifier la relation entre variations de vitesses sismiques et de pression hydraulique en utilisant une loi de transfert hydraulique (p. ex., la loi cubique). Nous utiliserons ensuite la corrélation entre vitesses et sismicité pour en déduire la variation de pression nécessaire pour déclencher la sismicité.

Le modèle 3D de résistivité préliminaire obtenu souffre d’un manque de résolution spatiale, aussi bien horizontalement que verticalement. Pour l’augmenter, et obtenir un modèle 3D d’impédance (Objectif 2), nous devrons réaliser le doublement du nombre de sites MT, et l’ajout de capteurs MT basse fréquence LEMI pour augmenter la profondeur d’investigation, ainsi que la réalisation des corrections statiques par TDEM. 

Remerciements
Nous remercions l’IRD et la Fondation USMB pour le financement des instruments MT,. Le SYANE (Haute Savoie) pour le soutien logistique et financier de notre travail sur le terrain ; la plateforme SIG d’ISTerre et le RAP pour la maintenance du reseau accélérométrique permament. Nous remercions Oliver Ritter and Tobias Reise de GeoForschungsZentrum pour les données de la station permanente à Wittstock.

References :
Brodie & Jiang, 2018, Trans-Dimensional Monte Carlo Inversion of Short Period Magnetotelluric Data for Cover Thickness Estimation, https://github.com/GeoscienceAustralia/rjmcmcmt
Egbert (1997), Robust multiple‐station magnetotelluric data processing, Geoph. J.Int, 130
Guiltinan & Becker (2015), Measuring well hydraulic connectivity in fractured bedrock using periodic slug tests, J. Hydrol., 521, 100–107
Hering P. (2019 ) PhD thesis Advances in magnetotelluric data processing, interpretation and inversion
Kelbert et al (2014) Modem : a modular system for inversion of electro-magnetic geophysical data, Comput Geosci 66:40–53
Muñoz G (2014), Exploring for geothermal resources with electromagnetic methods. Surv. Geophys. ,35(1):101–122
Ritter, O., Muñoz, G., Weckmann, U. et al, (2015) : A Permanent Magnetotelluric Reference Station in Wittstock, Germany (Report), (Scientific Technical Report - Data ; 15/09) (GIPP Experiment- and Data Archive), Potsdam : Deutsches GeoForschungsZentrum GFZ. DOI : http://doi.org/10.2312/GFZ.b103-15092
Thiel S (2017), Electromagnetic Monitoring of Hydraulic Fracturing : Relationship to Permeability, Seismicity, and Stress, Surv Geophys, 38:1133–1169
Thouvenot et al., (1998). The Ml 5.3 Epagny (French Alps) earthquake of 1996 July 15 : a long awaited event on the Vuache fault. Geophysical Journal International, 135, 876-892.