L’aléa sismique équatorien à la carte

Du magnitude 7,8, le séisme du 16 avril 2016 en Equateur a couté la vie à 668 personnes, fait 8 disparus, 6 274 blessés et plus de 29 067 sans-abris.
© IRD - Juan Pablo Verdesoto
Dix ans de recherche sur le terrain, d’analyse et de modélisation ont permis aux spécialistes équatoriens et français de dresser la cartographie de l’aléa sismique en Équateur. Disponible en libre accès (ou open acces) depuis peu, ce document pourrait permettre aux aménageurs du territoire de réduire les risques pour les personnes et les biens associés aux fréquents évènements telluriques que connait ce pays.

1906, 1942, 1958, 1979, 1987, 1996, 2016, la litanie des séismes destructeurs n’en finit jamais en Équateur. Faute de savoir prédire le moment où surviennent les catastrophes, les scientifiques s’emploient à en limiter les risques. Pour cela, ils ont établi une cartographie probabiliste de l’aléa sismique. « En somme, nous avons développé des modèles qui prédisent les séismes susceptibles de se produire, avec leur localisation, leur magnitude, les mouvements du sol qu’ils peuvent engendrer et la probabilité qu’ils surviennent dans une fenêtre temporelle future donnée », explique Céline Beauval, géophysicienne spécialiste de l’aléa sismique probabiliste à ISTerre. Ces travaux, qui mobilisent les compétences de disciplines scientifiques variées, sont menés avec l’Institut de géophysique de Quito en Équateur [1].

Aléa et risque

L’Équateur est un véritable haut-lieu de l’activité sismique. Sa côte longe la zone d’interface entre la plaque océanique Nazca et la plaque continentale sud-américaine. La première s’enfonce sous la seconde dans un mouvement rapide, estimé à environ 47 mm par an ! L’accumulation d’énergie associée à cette subduction se libère épisodiquement sous forme d’imprévisibles tremblements de terre entre 5, 10, 20 et 40 km de profondeur, au niveau de la zone de friction. La décharge de ces tensions peut aussi déclencher des séismes le long de failles crustales (dans la croûte terrestre) ou même dans la plaque océanique plongeante entre 50 et 200 km de profondeur.

Cet aléa élevé se traduit par de brusques mouvements du sol dont les amplitudes atteignent parfois des valeurs très fortes. Le risque sismique, relatif à la probabilité que les secousses produisent des dégâts matériels ou humains, est inhérent aux aménagements et à l’occupation du territoire. En effet, un séisme en plein désert ne provoque guère de tragédie. Mais il se trouve qu’en Équateur, les principales villes sont situées à proximité de zone dangereuses, bâties sur le corridor de failles crustales actives qui traverse le pays du golfe de Guayaquil à la Cordillère des Andes, comme Quito ou Riobamba, ou sur la côte pacifique près de la zone de subduction, comme Salinas, Manta et Esmeraldas. Mais une connaissance poussée de l’aléa peut permettre de limiter les risques.

Histoire, tectonique et modèles numériques

Anticiper les séismes du futur commence par connaitre ceux du passé. « Le premier élément nécessaire à notre travail est un catalogue de la sismicité, indique la chercheuse. Il s’agit de faire l’inventaire aussi exhaustif que possible des évènements survenus par le passé, de leur localisation et des intensités qu’ils ont engendrées. » Pour cela, les scientifiques se sont appuyés sur les archives espagnoles, dont les chroniques consignent l’histoire du pays depuis 500 ans, et sur les enregistrements instrumentaux dont les plus anciens commencent au début du 20e siècle [2]. Le deuxième élément, la cartographie précise de toutes les failles actives connues [3], est l’affaire des géologues. Le troisième, la mesure géodésique, consiste à quantifier la déformation accumulée sur les interfaces et les failles. Car tout ou partie de cette énergie se trouvera tôt ou tard libérée sous forme de tremblement de terre, vraisemblablement à l’endroit même où elle s’est accumulée…

À partir des données de sismicité, de tectonique active et des mesures géodésiques, des modèles d’occurrence de séismes peuvent être proposés. Puis, pour chacun de ces potentiels séismes futurs, il est nécessaire d’estimer le mouvement du sol qu’il pourrait produire à la surface.

Ainsi, les cartes établies vont montrer – en termes d’accélération – non pas le séisme lui-même mais ses effets sur le sol. « Ces cartes d’aléa sismique représentent les accélérations du sol ayant une certaine probabilité d’être dépassées dans le futur (par exemple 10 % de probabilité sur les 50 prochaines années, ou une fois en moyenne tous les 475 ans) ; elles intègrent les effets de tous les séismes susceptibles de se produire », précise la scientifique.
Ces connaissances sont précieuses pour orienter les politiques d’urbanisation. Elles peuvent inciter à éviter de bâtir dans certaines zones trop exposées, ou plaider en faveur de normes antisismiques draconiennes là où c’est indispensable. Cette carte pourrait utilement être exploitée dans le cadre d’une réforme prochaine du code équatorien de la construction.

Carte d’aléa sismique, représentant en chaque point l’accélération du sol qui a 10% de probabilité d’être dépassée dans les 50 prochaines années.
© IRD - Céline Beauval

<p>Quito, comme de nombreuses villes équatoriennes, est construite à proximité de zones sismiques dangereuses, notamment sur le corridor de failles crustales actives qui traverse le pays du golfe de Guayaquil à la Cordillère des Andes.<br class='autobr' />
© IRD - Michel Dukhan</p> <p>Les séismes sont fréquents en Equateur, pays situé le long de la zone d'interface entre la plaque océanique Nazca et la plaque continentale sud-américaine, et les infrastructures mises à rude épreuve.<br class='autobr' />
© IRD - Juan Pablo Verdesoto</p> <p>L'aléa sismique se transforme en risque, voire en tragédie, si la zone exposée aux séisme est occupée et si des normes de construction parasismique suffisantes ne sont pas respectées.<br class='autobr' />
© IRD - Juan Pablo Verdesoto</p> <p>Carte de la géométrie des zones sources sismiques crustales et de subduction (interface des plaques mais aussi à l'intérieur du slab), et catalogue de sismicité<br class='autobr' />
© IRD - Céline Beauval</p> <p>Carte des accélérations qui ont 10 % de probabilité d'être dépassées dans les 50 prochaines années. L'échelle d'intensité va croissant des couleurs pâles aux couleurs plus soutenues, soit de 0.05g (en Amazonie frontière Pérou/Colombie) à 0.6g.<br class='autobr' />
© IRD - Céline Beauval</p> <p>Carte des accélérations qui ont 2 % de probabilité d'être dépassées dans les 50 prochaines années. L'échelle d'intensité va croissant des couleurs pâles aux couleurs plus soutenues, soit de 0.1g à 1.4g<br class='autobr' />
© IRD - Céline Beauval</p> <p>Géométrie des zones sources superficielles : interface de subduction, zones sources crustales et failles actives majeures.<br class='autobr' />
© IRD - Céline Beauval</p>

Contact scientifique

Céline Beauval, ISTerre

Article initialement publié par l’IRD.

[1Celui-ci a un mandat officiel des autorités équatorienne pour déterminer les niveaux de l’aléa sismique, dont la connaissance est obligatoire partout dans le monde pour le dimensionnement des infrastructures ou des bâtiments importants.

[2Le très puissant séisme de 1906, sur la côte équatorienne, a ainsi été détecté et localisé par les premiers sismographes installés dans le monde. Sa magnitude est actuellement estimée de l’ordre de 8,6. Celui de 1797, qui rasa Riobamba est abondamment documenté, en termes de bilan et de destruction, dans des écrits d’époque.

[3Pour autant un séisme peut tout à fait se produire sur une faille active jusque-là méconnue et non cartographiée.