Fusion du manteau profond : de la Terre primitive à la Terre actuelle

Denis ANDRAULT, Laboratoire Magmas et Volcans, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand | 18 avril 2013

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Au cours de l’accrétion, les grands impacts météoritiques ont entraîné la fusion de notre planète, de façon partielle ou complète. Aujourd’hui, la fusion partielle est également proposée à la base du manteau, dans la couche D", sur la base de l’observation de zones à faible vitesse sismique. La fusion joue un rôle majeur dans l’évolution dynamique de notre planète car elle induit la ségrégation chimique et la formation de réservoirs distincts chimiquement. Trois paramètres indépendants doivent être affinés afin d’améliorer nos connaissances des propriétés de fusion dans le manteau profond : (1) la dépendance en pression des températures de fusion, plus précisément du solidus et du liquidus, pour les matériaux géologiques majeurs (2) le profil de température dans la Terre profonde et son évolution avec le temps depuis l’accrétion planétaire (3) la différence de densité entre les parties solide et liquide d’un manteau partiellement fondu. -* (1) Sur la base de mesures récentes effectuées à l’aide du rayonnement synchrotron dans la cellule à enclumes de diamant couplée au laser infrarouge (LH-DAC), nous avons récemment déterminé les courbes de fusion d’un manteau de type chondritique pour des pressions caractéristiques de tout le manteau inférieur. Nos mesures mettent en évidence un fort écart de température entre le solidus et le liquidus, ce qui implique que la fusion partielle devrait s’étendre sur un grand intervalle de profondeur. Pour les 135 GPa régnant à la frontière noyau-manteau, les températures de fusion sont de 4150 K au solidus (début de fusion partielle) et 4725 K au liquidus (fusion complète). Dans le cadre de la Terre primitive, une telle température de liquidus rend improbable la fusion complète du manteau, car cela nécessite une température de surface bien supérieure à la température de volatilisation de l’océan magmatique. -* (2) Dans le manteau moderne, l’extrapolation dans le manteau inférieur du gradient adiabatique connu pour le manteau supérieur mène à des températures maximales de 3000 K à la limite noyau-manteau (CMB). Toutefois, un tel gradient adiabatique pourrait être inapproprié, en particulier si les éléments radioactifs sont répartis de façon hétérogène en fonction de la profondeur. Une concentration plus importante dans les réservoirs profonds du manteau (les plus primitifs ?) pourrait générer un profil de température sur-adiabatique. Néanmoins, ces effets devraient restés modérées et on s’attend donc à ce que la température du manteau reste bien inférieure aux solidus des matériaux géologiques majeurs du manteau profond (pyrolite, manteau chrondritique, MORB, etc.). La fusion n’est donc possible qu’au contact avec le noyau, s’il est très chaud. Cette question reste activement débattue dans la communauté. -* (3) Si la fusion partielle se produit à l’interface noyau-manteau, dans la Terre primitive ou aujourd’hui, le sort des liquides dépend principalement du contraste de densité (δρ) avec la fraction solide du manteau. Les paramètres contrôlant δρ sont (i) le partage du fer entre les fractions solide et liquide, (ii) le rapport SiO2/MgO dans le liquide et (iii) le volume de fusion. Ce dernier est de quelques pourcents et diminue légèrement lorsque la pression augmente. Le rapport SiO2/MgO dans le liquide reste mal contraint. On s’attend a une diminution avec l’augmentation de pression, pour produire des liquides plus riches en MgO à haute pression. Ceci devrait favoriser un liquide plus dense. Cependant, le paramètre dominant est le partage du fer entre les deux phases. Nos mesures expérimentales récentes utilisent la fluorescence X pour déterminer les cartes de répartition du fer dans nos échantillons de LH-DAC. Bien que le fer apparaisse relativement incompatible avec le manteau solide à toutes profondeurs dans le manteau, il n’est pas suffisamment incompatible pour rendre le liquide plus dense que le manteau solide. Cette observation est incompatible avec le stockage de phases liquides à la base du manteau pour de longues périodes géologiques.

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